Manipulation

Dernière mise à jour : 05/10/2020

L’informatique est un enjeu stratégique. Cette banalité me sert à en introduire une autre, qui est que le pouvoir de l’information engendre désormais des actions visant à la manipuler, pour des raisons économiques, politiques, militaires, etc. Il n’y a pas que l’espionnage qui motive les nations : il est désormais évident que la manipulation de l’information est une technique utilisée au niveau étatique1. Il ne s’agit pas uniquement de manœuvres d’attaques : l’objectif est également de manipuler l’information et l’opinion.

Autant au début du web, on ne rencontrait que des auteurs dignes de confiance (ou à peu près), autant de nos jours les manipulations et les atteintes (directes ou indirectes) à tout forme de liberté sont nombreuses. Cela peut aller de l’intervention directe, comme la censure de services ou de technologies2, mais cela peut également être une conséquence indirecte des théories du complot ou de la pression exercée par de nouvelles formes de lobbying sur les réseaux sociaux (par exemple).

Manipulation à tous les étages

La manipulation a toujours été une pratique courante, aussi bien au niveau de l’individu qu’au niveau de l’Etat, en passant par tout type d’organisation civile, militaire, religieuse, etc.

Précaution oratoire

Je tiens à préciser à mes amis russes, chinois, américains et nord-coréens que je ne leur veux aucun mal. Si par hasard je les cite (eux ou certaines de leurs organisations), c’est à titre purement illustratif. Tout le monde sait bien que quand on dit du mal des Russes, c’est faux, et quand on en dit du bien, alors c’est vrai. Et s’il s’avérait que mes propos soient inexacts, ou qu’ils semblent influencés par un quelconque parti pris, je leur laisse le soin de démonter ma thèse. Ils en ont le droit, tout comme on a le droit d’affirmer haut et fort que la Terre est plate et qu’aucun soldat russe n’a jamais mis les pieds en Crimée.

Bon exemple et mauvais élève

Cette introduction montre bien l’importance que peut prendre l’information sur les différents canaux de communication, dont internet, ainsi que l’énorme difficulté de savoir la pertinence et l’exactitude d’une information lancée sur internet : n’importe qui peut dire n’importe quoi. Tout ce qu’on lit et qu’on voit sur le réseau est sujet à caution : il est impératif de se poser des questions et d’avouer (au moins de s’avouer à soi-même) son ignorance ou son incapacité à évaluer cette information.

J’accepte donc la critique, mais pas sur le mode de l’affirmation sans réflexion ou sans sens critique. Les théories du complot bourgeonnent car il est beaucoup plus facile d’affirmer avec beaucoup d’aplomb (dans le cerveau) qu’un fait est faux que de prouver qu’il est vrai.

Exemple

L’événement du 11 septembre 2001 est un bon exemple de la diffusion de théories diverses et farfelues, que permet ce relais rapide et efficace qu’est internet. Rappelez-vous : aucun missile n’est jamais tombé sur le Pentagone, parce que personne ne l’a vu (par exemple). Pas de chance c’est vrai : aucune caméra n’a saisi d’image convaincante du choc ayant engendré l’explosion du bâtiment. Quand au World Trade Center, les images qu’on a pu voir ne sont que des montages des télés à la botte de services fédéraux américains. Evidemment, c’est possible. Je veux dire : la probabilité que cela soit le cas n’est pas nulle. Mais quasiment. Or prouver le contraire (que les images sont authentiques) est une tâche quasi-impossible !

Selon plusieurs médias allemands et anglo-saxons, des fausses informations diffusées sur les réseaux sociaux et sur des sites Internet pourraient constituer des tentatives d’influence du scrutin, qui a eu lieu en Allemagne ce dimanche, en faveur du parti Alternativ fûr Deutschland (AfD). Le média en ligne The Intercept a identifié un institut américain, dénommé Gatestone Institute et proche de la mouvance d’extrême droite « Alt-Right », comme une source de fausses informations reprises sur des comptes de réseaux sociaux affiliés à l’AfD. De plus, Der Spiegel, un hebdomadaire allemand, a identifié plusieurs fausses informations, notamment sur le thème de la politique migratoire, qui seraient reprises par des médias russophones ou germanophone proches du gouvernement russe tels que Sputnik et RT Deutsch. Dans ce contexte le ministre de l’intérieur allemand, M. Thomas de Maizière, avait déclaré ce mercredi « n’avoir aucune indication selon laquelle Poutine aurait tenté d’influencer les élections », tout en ajoutant qu' »il aurait peut-être décidé de ne pas effectuer de telle tentative, ou qu’elle soit encore à venir ». Enfin, ce dimanche, selon Der Spiegel, une nouvelle tentative d’influence a donné lieu à la propagation sur les réseaux sociaux d’une vague de fausses informations sur les thèmes de la fiabilité du scrutin et des résultats. Leur diffusion était accompagnée des mots-dièses #Wahlbetrug (« trucage du scrutin »), #Wahlbeobachtung (« observation des résultats ») ou #AfD. L’hebdomadaire allemand souligne que cette tentative, débutée dans l’après-midi, a bénéficié du soutien de programmes automatisés de publication sur les réseaux sociaux qui seraient opérés depuis la Russie.

The Intercept, Security Week, Spiegel Online, Spiegel (en allemand), Medium.com

Le renseignement est une arme

De tout temps, le renseignement (au sens militaire) a été une preuve de puissance et un outil stratégique. Les échanges de bons procédés sont probablement légion, sans qu’on le sache, mais les coïncidences sont parfois troublantes, et certaines orientations ou décisions peuvent nous indiquer une probable collaboration entre plusieurs acteurs.

C’est aussi une marchandise

Ainsi on peut imaginer (faute d’en avoir la preuve) que les Pays-Bas, dont les services de renseignement ont énormément contribué au suivi de la campagne d’influence et de piratage russe durant l’élection présidentielle américaine de 20163, ont pu avoir en retour des renseignements de la part des américains sur le crash du vol MH17, au cours duquel de nombreux hollandais ont trouvé la mort. J’imagine mal un pays de la taille des Pays-Bas accuser aussi fermement la Russie pour son implication dans ce drame sans avoir une conviction bien forgée.

Heureusement, il n’y a pas encore eu de preuve de trucage des résultats des élections, mais la menace plane. A cet égard, je suis contre l’usage de machines à voter électroniques. Mais on n’est alors plus dans une logique de manipulation, mais d’attaque.

Le cas des élections américaines de 2016

Personne ne peut contester l’influence qu’a eue la révélation d’une grande quantité de mails du parti démocrate pendant les élections américaines de 2016. Son attribution est toutefois, comme toujours, plus délicate. L’équipe de campagne Trump martelait qu’il s’agissait d’un pirate roumain, genre loup solitaire : Guccifer 2.0. Ce dernier se présentait comme un hacker roumain, à l’instar de Guccifer qui est un ressortissant roumain impliqué dans d’autres affaires (fuite d’informations et accès à la messagerie personnelle d’Hillary Clinton).

Même si Guccifer clamait être responsable de la fuite de 2016, il n’en a donné aucune preuve d’autant plus… qu’il était en prison à ce moment-là !

En 2019, on a appris qu’une cyberattaque a visé l’usine à troll responsable d’une grande partie des manipulations ayant entouré ces élections (l’Internet Research Agency), et qu’elle serait l’oeuvre d’une agence américaine (l’US Cyber ​​Command, ou USCC, a été citée)4.

Suite : https://nationalcybersecurity.com/dnc-hacker-guccifer-2-0-reportedly-identified-as-russian-intel-officer/

Le cas des élections américaines de 2020

Le FBI et le CISA mettent en garde contre des campagnes de désinformation visant la campagne électorale américaine de 2020. Ça doit encore être une fake news...

Facebook

Facebook n’est pas non plus irréprochable5 sur ce coup-là (et sur bien d’autres d’ailleurs). Le manque de contrôle et de supervision sur les publicités à caractère politique en pleines élections a joué en la faveur des attaquants. Heureusement tout cela provient d’une fonctionnalité non activée en France : la section Trending Topics.

Ce qui est amusant, c’est que la première mouture de cette fonctionnalité était contrôlée par des journalistes, qui semblaient dénigrer les conservateurs. Suite à quoi Facebook a licencié les journalistes responsables de cette rubrique pour ne laisser que les algorithmes choisir les sujets. Résultat : aucun filtrage et les fake news ont vite pris le dessus, en dehors de tout contrôle et de toute modération.

Depuis, FB a fait des efforts pour supprimer les faux comptes liés à des organes d’influence6, dont ceux ayant influé sur l’élection de 20167. Mais quels seront les critères futurs pour autoriser ou pas ces groupes : un homme politique en campagne cherche à influencer les électeurs. Comment reconnaître le bon chasseur du mauvais chasseur ?

WhatsApp

Autre exemple tout aussi inquiétant : une faille8 trouvée dans l’application de messagerie WhatsApp9 permet d’usurper des identités et donc de publier des informations farfelues. Cela ne serait pas grave s’il n’y avait pas déjà eu le cas de rumeurs propagées via cette appli et ayant entraîné la mort de plusieurs personnes10 réelles.

Conséquences

Microsoft, dans sa grande bonté d’âme qu’on lui connaît, a lancé un programme de défense de la démocratie11, rien de moins (et pas seulement la défense du vote électronique). Les objectifs sont ambitieux :

  • Protéger les campagnes électorales du piratage ;
  • Améliorer la transparence des publicités politiques en ligne ;
  • Explorer des technologies afin de protéger le processus électoral ;
  • Se défendre contre les campagnes de désinformation.

Microsoft fait partie de ceux qui accusent ouvertement la Russie12 (et fait même partie de ceux qui agissent13). Mais nul doute que d’autres pays veulent ou voudront faire ce que la Russie a, elle, déjà fait.

Que dit Trump ?

Que les Russes ne sont pour rien dans cette affaire. Mi-2018, il continuait à nier l’implication russe14, contre toute logique. Or en juillet 2018, un tribunal américain a publié des preuves de cette implication15, accusant formellement 12 ressortissants russes (des officiers de renseignement) d’avoir participé à cette manipulation. Face à l’accumulation de preuves, Trump finit par tenir Poutine comme principal responsable16 de l’ingérence lors des élections américaines de 2016 (enfin, c’est aussi la faute d’Obama, forcément).

Cerise sur le gâteau

Les informations dévoilées démontent les propos du fondateur de Wikileaks, lequel clamait qu’il n’avait pas reçu les courriels en question de Russie. Donc la transparence de Wikileaks a des limites…

Cerise confite sur le gâteau

Malgré la condamnation d’un tribunal américain et les déclarations de Trump, les experts américains pensent que la Russie continue de jouer un rôle17 et de tenter d’influencer les prochaines élections. Note personnelle : si Trump est réélu, on pourra affirmer sans crainte que le scrutin aura été truqué 😉 !

Cerises cramoisies

En 2018, Washington sanctionne des Russes pour avoir tenté d’influencer l’élection législatives et locales18 ! Et en 2020, les américains promettent jusqu’à 10 millions de dollars pour récompenser toute information sur les personnes ou organismes tentant d’interférer sur les élections présidentielles19. Enfin une prise de conscience du pouvoir (je dis bien du pouvoir, pas de Trump) !

Coupons court

Le meilleur moyen de réduire l’influence d’opposants consiste à les réduire au silence. Avec l’informatique, la tâche est facile, et plusieurs pays s’y aventurent sans scrupules. Ils disposent de plusieurs armes (ou possibilités techniques) :

  • La coupure pure et dure, pendant des périodes limitées mais stratégiques. En 2018, le Bangladesh coupe l’internet mobile pendant 24 heures pour réprimer les manifestations étudiantes20. On peut aussi emprisonner les opposants durant le temps d’une campagne électorale, mais cela demande plus de moyens et le risque n’est pas le même.
  • Le filtrage et la censure, comme cela se pratique en Chine, avec l’interdiction du contournement par des VPN.

Biais d’influence

Influenceurs influencés

Ou plutôt : influenceurs malhonnêtes. Oui, c’est bien beau de se targuer d’être influenceur sur le web, mais tout s’achète, tout se vend, tout se manipule sur internet. A tel point que des influenceurs (autoproclamés ?) pestent contre les « faux influenceurs »21 qui achètent leur popularité.

Pour moi, l’influence ne se décrète pas : elle se constate. Donc les « vrais » influenceurs qui pensent qu’il suffit de bien causer de leurs sujets pour être influent découvrent qu’il y a d’autres méthodes pour influencer. Je sais : la vie est dure, injuste, etc.

Fake news

Les fausses nouvelles sont l’arme principale de manipulation, sans être la seule. J’y consacre une petite page

Théories du complot

Les théories du complot dérivent directement des fake news, ou inversement : chacun alimente l’autre pour former un tout qui paraît (de très loin) avoir une certaine cohérence, tout en étant en dehors de toute réalité tangible ou de vraie réflexion.

Pressions et menaces

La manipulation peut prendre plusieurs visages, et au delà des fake news, il y a aussi les faux commentaires, qui sont légion sur internet. Déjà très agaçants en temps normal, cela devient critique lorsque la violence et la force de la pression en arrive a empêcher le travail de recherche, d’enquête et d’investigation sur des sujets sensibles ou contestés. Comme je le disais plus haut, il est facile d’affirmer une contre-vérité et également très simple de faire pression sur un journaliste22 ou l’auteur d’un site23, aussi bien de la part de groupes motivés (souvent idéologiquement), de réseaux ou même par d’Etats.

Sources